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Arrêt CE, 4ème – 1ère chambres réunies, 28 septembre 2022, N°458403 : l’utilisation du prénom de leur choix par les élèves transgenres dans le cadre de la vie interne des établissements scolaires

 

En résumé : Rejet d’un recours pour excès de pouvoir formé à l’encontre d’une circulaire du 29 septembre 2021 du ministre de l’éducation nationale intitulée  » Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire « 

 

 

Conseil d’État, 28 septembre 2022, n°458403 :

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête, deux nouveaux mémoires, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 15 novembre 2021 et les 31 mars, 3 mai, 1er juin et 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… A… demande au Conseil d’Etat :

 

1°) à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 29 septembre 2021 du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports portant lignes directrices à l’attention de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, intitulée  » Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire  » ;

 

2°) à titre subsidiaire, d’annuler pour excès de pouvoir cette circulaire en tant qu’elle prescrit l’emploi par les personnels de l’éducation nationale du prénom d’usage des élèves transgenres ;

 

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 400 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :
– le code civil ;
– le code de l’éducation ;
– la loi du 6 fructidor an II ;
– le code de justice administrative ;

 

Après avoir entendu en séance publique :


– le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire, – les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation :  » L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. « 

 

2. Par une circulaire du 29 septembre 2021 intitulée  » Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire « , dont M. A… demande l’annulation pour excès de pouvoir, le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports a adressé des recommandations à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale afin de mieux prendre en compte la situation des élèves transgenres en milieu scolaire, de faciliter leur accompagnement et de les protéger. A cet effet, la circulaire appelle notamment les établissements scolaires et leurs personnels à veiller, si l’élève dont l’état civil n’a pas été modifié en fait la demande, avec l’accord de ses représentants légaux lorsqu’il est mineur, à ce que le prénom choisi par l’élève soit utilisé par l’ensemble des membres de la communauté éducative et à ce qu’il soit substitué au prénom d’état civil de l’élève dans tous les documents relevant de l’organisation interne de l’établissement, y compris leurs espaces numériques. La circulaire rappelle qu’il appartient également aux personnels de l’éducation nationale de s’assurer que l’expression de genre des élèves n’est pas remise en cause ou moquée et que les choix liés à l’habillement et à l’apparence sont respectés, sous réserve des restrictions imposées par des impératifs de sécurité et appliquées sans distinction selon le genre. Elle invite, enfin, les établissements à tenir compte des préoccupations exprimées par les élèves sur l’usage des espaces d’intimité et à mettre en place des mesures générales et préventives pour lutter contre toutes les formes de discrimination, de harcèlement et de violence à l’égard des élèves transgenres.

 

3. Les conclusions du recours pour excès de pouvoir formé par M. A… contre cette circulaire doivent être regardées comme tendant à son annulation seulement partielle, en tant qu’elle invite les personnels de l’éducation nationale et les établissements scolaires à veiller à l’emploi du prénom d’usage des élèves transgenres, compte tenu de l’argumentation soulevée qui se prévaut des dispositions de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aux termes duquel :  » Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance (…) « , ainsi que de celles de l’article 4 de la même loi, selon lequel il  » est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l’acte de naissance, (…), ni d’en exprimer d’autres dans les expéditions et extraits qu’ils délivreront à l’avenir « .

 

4. Il ressort des pièces du dossier que les termes de la circulaire relatifs à l’usage du prénom choisi par les élèves transgenres recommandent aux personnels de l’éducation nationale de faire usage de ce prénom plutôt que du prénom inscrit à l’état civil dans le cadre de la vie interne des établissements et pour les documents qui en relèvent, tout en précisant que seul le prénom inscrit à l’état-civil doit être pris en compte pour le suivi de la notation des élèves dans le cadre du contrôle continu pour les épreuves des diplômes nationaux. En préconisant ainsi l’utilisation du prénom choisi par les élèves transgenres dans le cadre de la vie interne des établissements, la circulaire attaquée, qui a entendu contribuer à la scolarisation inclusive de tous les enfants conformément aux dispositions de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, n’a pas méconnu les dispositions des articles 1er et 4 de la loi du 6 fructidor an II.

 

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation des termes de la circulaire qu’il attaque. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l’Etat.

 

 

DECIDE:
————–
Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.


Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.